lundi 2 mai 2011

Faire siéger de simples citoyens au tribunal correctionnel est démagogique

[Il s'agit là d'une tribune de Robert Badinter, dans Le Monde du 28 avril,  tribune que je n'ai reprise que partiellement, vu sa longueur. Pour ceux qui souhaiteraient la lire dans son intégralité, je la tiens à disposition (alainalpern@gmail.com)]



Ce projet présidentiel qui défie les magistrats relève du populisme judiciaire

De toutes les lubies judiciaires dont nous avons été gratifiés depuis quatre ans, la plus surprenante s'avère l'annonce de la participation de simples citoyens au jugement des affaires correctionnelles et aux décisions de libération conditionnelle.

I. Qu'il s'agisse d'un coup médiatique est évident. Aucune organisation professionnelle de magistrats ou d'avocats n'a avancé pareille proposition. Aucun colloque de juristes, aucun parti politique, aucun cercle de pensée ne l'a prise à son compte.

II. L'argument idéologique avancé par le président de la République pour fonder cette réforme est malvenu. Que les jugements soient rendus au nom du peuple français n'implique pas que des citoyens tirés au sort doivent être appelés à juger les prévenus. Les magistrats sont des citoyens français comme les jurés.
La référence au jury d'assises composé de citoyens depuis deux siècles dans les procès criminels est également impropre: neuf jurés siègent à coté des trois magistrats à la cour d'assises, aucun verdict de condamnation ne peut être prononcé sinon à la majorité de huit voix sur douze, avec donc une majorité de jurés, soit cinq voix.
Rien de tel dans la réforme proposée : deux citoyens seront appelés à siéger au tribunal correctionnel aux côtés de trois magistrats. Tout jugement au fond de ce tribunal mixte pourra être pris à la majorité simple, soit celle des trois magistrats. 

III. Paradoxalement, ce projet qui prétend accroître le rôle des simples citoyens dans la justice pénale réduit leur pouvoir dans les cours d'assises.
Des juridictions "light", avec 2 "assesseurs" au lieu de 9 jurés, pourront juger tous les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion, notamment les viols dont le nombre croissant encombre aujourd'hui les cours d'assises. Singulière contradiction avec la volonté proclamée de l'exécutif d'accroître la participation directe des citoyens à la justice pénale.

IV. La réforme annoncée est de surcroît inégalitaire. Les infractions aux conséquences les plus graves pour la société, délinquance organisée, financière, fiscale, environnementale, corruption, etc. demeureront l'apanage des seuls magistrats.
Imagine-t-on des citoyens ordinaires jugeant l'affaire Clearstream? 

V. Face à la montée croissante de la violence physique, s'il faut recourir à des citoyens ordinaires pour assurer la répression, c'est donc que les magistrats professionnels ne suffisent pas à la tâche. Plutôt que d'avouer l'échec de la politique pénale conduite en ce domaine depuis dix ans, il est plus aisé de dresser cet acte implicite d'accusation contre la magistrature, en mettant en place une juridiction correctionnelle à 2 vitesses.

VI. Car aucun motif technique ne peut justifier cette surprenante innovation. Il suffit de lire le projet pour voir combien la procédure correctionnelle devant ces nouvelles juridictions à composition mixte sera rendue plus lourde et plus lente. Il faudra d'abord initier les " citoyens assesseurs " aux rudiments de la procédure et du droit pénal. Mettre en œuvre la possibilité qu'ils accèdent au dossier de l'enquête ou de l'instruction, tout en veillant au respect du secret protecteur des tiers.
Il faudra laisser s'exercer à l'audience le droit reconnu aux assesseurs de poser des questions aux prévenus et témoins. Il faudra susciter un délibéré spécial après chaque affaire pour arrêter la décision à la majorité ; et faire approuver les grandes lignes du jugement qu'un magistrat aura ensuite pour mission de mettre en forme.
La procédure devant les tribunaux mixtes sera nécessairement dévoreuse de temps. Le garde des sceaux a annoncé qu'une force de 100 magistrats et de 150 greffiers serait constituée pour faire face à la première mise en place de cette réforme que personne ne réclamait. Ces renforts en période de pénurie pourraient être mieux utilisés dans d'autres secteurs menacés, y compris celui de l'application des peines.

VII. Il est vrai qu'à ce secteur sensible, la réforme s'est aussi intéressée. S'agissant des mesures de libération conditionnelle, pour des condamnés à plus de cinq ans de privation de liberté, deux " citoyens assesseurs " encadreront les magistrats du tribunal de l'application des peines. Dans ce domaine où sont requis expérience et connaissance approfondie du dossier et de la personnalité du détenu, les juges se verront associer des personnes tirées au sort, qui n'auront pas nécessairement les connaissances requises pour apprécier les données complexes réunies sur la personnalité de l'intéressé et ses perspectives d'évolution.

L'intention est transparente qui inspire cette proposition : tabler sur l'hostilité prêtée au public à l'égard des mesures de liberté conditionnelle des condamnés à de longues peines pour réduire le nombre de celles-ci, alors qu'on sait que la libération conditionnelle bien encadrée est un facteur de prévention de la récidive.

Robert Badinter

Ancien garde des sceaux (1981-1986), ancien président du Conseil constitutionnel (1986-1995)

1 commentaire:

  1. lu dans la voix du nord :"Quand on crie plus fort, on nous le reproche, l'autre option était de se taire, il ne restait plus qu'un choix, c'était de partir », justifie Laurent Brice."

    crier ou partir sont les seuls alternatives de nos amis du FN...
    ils devraient suivre une formation d'affirmation de soi nos "grands démocrates"
    l'affirmative act a été développée sous Kennedy pour permettre aux minorités de bénéficier de leurs droits civiques
    quel chemin parcouru puisque 50 ans après ce programme un noir était élu président...
    s'ils s'y mettent maintenant mrs Briois, Brice ont peut être une chance d'être élu président.... de leur club du 4ème âge
    tintin

    RépondreSupprimer