mardi 17 mai 2011

La détention de DSK, un échec pour la défense


Certes, il y a la mise en scène d'un homme entouré de policiers en civils. Il y a aussi les apparentes contradictions ou modifications successives, dans le récit policier, des heures fatidiques qui ont amené Dominique Strauss-Kahn à être accusé de viol, éléments propres à semer quelques doutes. Enfin, le résultat des analyses médico-judiciaires sur les prélèvements effectués dimanche par la police et envoyées au laboratoire - et auxquelles Dominique Strauss Kahn s'est, disent ses défenseurs, volontiers prêté - ne sera connu que dans 5 jours. Il n'en reste pas moins qu'en l'état présent de ce qui est connu du dossier d'accusation, la situation de DSK semble extrêmement fragile sur le plan judiciaire.
Le discours de ses défenseurs en a d'ailleurs fait foi. Dans un premier temps, ils ont insisté sur le fait que leur client " récusait toutes les accusations " portées contre lui. Mais à la sortie de la première audience où il a comparu, lundi matin 16 mai, devant la juge du tribunal d'Etat de New York, Melissa Jackson, après près de 43 heures de détention, Benjamin Brafman, l'un des deux principaux avocats de DSK, a tenu un langage plus mesuré : " Nous croyons àinnocence, (...) son dossier est plaidable ", a-t-il déclaré. Le cas de son client venait d'être réglé en 26 minutes (cinq fois plus que la moyenne des comparutions dans ce type d'audience). Assis dans la salle du tribunal à côté de délinquants mineurs - ce qui, même s'il n'était alors plus menotté, ne pouvait qu'accentuer le caractère pathétique de sa situation -, M. Strauss-Kahn, les bras tantôt ballants tantôt croisés, visiblement fatigué, le visage par instants dévasté, y a offert un regard le plus souvent comme absent.

Il devra, surtout, retourner en cellule jusqu'à la prochaine audience. La juge a refusé d'accéder à la demande de M. Brafman de le laisser sortir libre du tribunal contre le versement d'une caution de 1 million de dollars (que sa femme, Anne Sinclair, s'engageait à verser), et ce, même s'il remettait son passeport à la disposition de la justice et s'engageait à résider chez sa fille à New York sans quitter la ville. Pour justifier la poursuite de sa détention préventive, la juge a accepté l'argument de l'assistant du procureur, Artie McConnell, qui a rappelé l'absence de traité d'extradition entre Washington et Paris et le risque de voir le prévenu s'enfuir. Elle a cependant récusé un autre argument, qui, pour s'opposer à la remise en liberté de DSK, faisait référence au " précédent Polanski " (le cinéaste polonais, jugé une première fois pour crime sexuel, s'était enfui des Etats-Unis en 1977 pour se soustraire à une seconde sentence).
Selon Me Bradley Simon, un ancien procureur fédéral devenu avocat et inscrit au barreau de New York et de Paris, le maintien en détention de DSK constitue " un gros échec " pour sa défense : " Elle pourra encore tenter d'obtenir sa mise en liberté, mais ce sera maintenant beaucoup plus difficile. " Elle pourrait s'adresser à une juridiction de l'Etat supérieure à celle qui a statué le maintien en détention pour obtenir son annulation.
Le procureur du district du comté de New York, Cyrus Vance Junior, soulève 7 chefs d'accusation à l'encontre du patron du FMI. Les plus importants sont la tentative de viol, l'acte sexuel criminel (termes utilisés, en droit américain, pour tout viol qui n'implique pas pénétration) et la séquestration illicite (pour avoir fermé la porte de sa suite avant de commettre son forfait présumé).
Les éléments à charge présentés au tribunal sont encore plus spécifiques : il y est question de " tentative de contraindre autrui à avoir une relation orale et anale " (là sont les " crimes sexuels " : il est par la suite indiqué que l'accusé aurait " forcé la bouche de la personne à toucher son pénis à deux reprises "), et de " tentative de relation sexuelle forcée " (le " viol "). Ces actes, stipule l'accusation, n'ont pu être commis " qu'en usant de la force physique ". Les éléments à charge découlent du témoignage jugé par la police " très puissant et détaillé " de la victime, une jeune femme de 32 ans originaire d'Afrique de l'Ouest habitant le quartier du Bronx, qui travaillait depuis trois ans au Sofitel New York, où ont été commis les crimes allégués. S'ils sont confirmés par un jugement, ils peuvent valoir à leur auteur jusqu'à 26 ans d'emprisonnement.
Au procès, un des avocats de DSK a remis en cause l'idée que son client aurait " fui précipitamment " l'hôtel après son supposé forfait - une vision pourtant corroborée par le chauffeur de la limousine qui l'a emmené à l'aéroport. Le défenseur a indiqué que l'une de ses filles, avec qui il aurait déjeuné avant son départ pour l'aéroport, témoignerait bientôt en ce sens. Mais visiblement, avant de fixer sa stratégie, la défense attend de connaître le verdict précis des analyses de laboratoire. Car dans la procédure américaine, il est usuel, pour mettre la pression sur l'adversaire, que la police et le procureur, qui enquêtent à charge et disposent d'un temps d'avance, avancent des certitudes avant même, par exemple, que soient connus les résultats d'analyses médico-judiciaires. C'est d'ailleurs ce qu'a fait, lundi, la police new-yorkaise : selon le site Atlantico, ses hauts responsables auraient expliqué à des diplomates français que " des traces d'ADN (vraisemblablement de sperme) ont bien été découvertes " dans les prélèvements dont dispose la police. " Vraisemblablement " : à ce stade, pour le procureur, il ne s'agit pas de démontrer, mais de manifester sa conviction ; telle est la règle du jeu, tout comme le fait de mentionner " au moins un " autre cas similaire visant DSK, comme l'a évoqué, lundi, le procureur.
De même, il est tout aussi usuel que, dans cette phase liminaire, la défense - qui enquête à décharge - se cantonne à des généralités et des dénégations, tant qu'elle ne connaît pas les éléments en possession d'un procureur qui, depuis l'arrestation du suspect, a disposé d'un temps d'avance. C'est pourquoi elle ne détaille pas plus avant pour le moment sa dénégation. Que " nie "-t-elle exactement ? La présence de M. Strauss-Kahn dans cette suite au moment où y entre la femme de ménage supposément agressée ? Toute agression sexuelle sous quelque forme que ce soit ? Ou bien nie-t-elle seulement le caractère forcé d'une relation sexuelle avérée ? Un début de réponse à ces questions dépendra pour beaucoup de la prochaine audience, qui se tiendra le 20 mai.
En attendant, les médias américains, en particulier télévisuels, jusque-là relativement prudents, ont changé d'attitude depuis la présentation publique des premiers éléments de l'accusation et surtout devant l'attitude de la juge. A l'issue de l'audience, M. Strauss-Kahn a été emmené vers le pénitencier de Rikers Island, sur une île new-yorkaise qui fait face à l'aéroport de La Guardia. " Un lieu extrêmement désagréable ", commente Me Simon. DSK devrait y bénéficier d'une cellule individuelle. 


Sylvain Cypel
© Le Monde 18/5/11

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