dimanche 24 juillet 2011

"C'est curieux qu'il soit au Front national, il a l'air normal" (1)


Jean-Pierre Stirbois, l'apparatchik du FN
LE MONDE MAGAZINE | 15.07.11

Au soir du 11 septembre 1983, la tension ne cesse de monter sur la place de la mairie de Dreux, dans l'Eure-et-Loir. La soirée du second tour de l'élection municipale partielle est animée. La foule scande : "Stirbois, fasciste et assassin !", "Stirbois, salaud, le peuple aura ta peau !". La liste qui a remporté la victoire compte des chiraquiens, des centristes et des frontistes, dont le numéro deux du Front national, Jean-Pierre Stirbois.
Une semaine auparavant, ce dernier avait bousculé l'échiquier politique avec le "coup de tonnerre de Dreux" : sa liste obtenait près de 17 % des voix au premier tour et il allait réussir l'exploit – obliger les droites à fusionner avec le FN. L'homme de cette victoire historique qui fait connaître le Front national aux Français est l'inverse de Jean-Marie Le Pen. L'un est austère, l'autre brillant, l'un est un tribun, l'autre un apparatchik.

Jean-Pierre Stirbois est un fils d'ouvrier né en 1945. Adolescent, il est proche de l'OAS-Métro-Jeunes. En 1965, il participe à la campagne présidentielle du candidat d'extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour, dont Jean-Marie Le Pen est l'animateur. Stirbois y rencontre à cette occasion une militante prénommée Marie-France, qui va partager sa vie affective et politique.
La déroute électorale qui suivra va provoquer une lutte fratricide entre Tixier et Le Pen. Stirbois choisit le premier puis s'en va participer au lancement du Mouvement jeune révolution. "Solidariste", ce groupe réunit des anciens de l'OAS-Métro-Jeunes, leur idole est le capitaine Pierre Sergent. Au retour de son service militaire en 1969, Stirbois prend en charge le secrétariat national. "C'est là que vont se former le style et les méthodes d'organisation du futur numéro deux du FN", estime l'historien Jonathan Preda.

Stirbois veut construire une élite révolutionnaire apte à l'action clandestine. Il est lié avec Aginter Press, une officine portugaise de contre-subversion très impliquée dans les actions terroristes qui frappent l'Italie. La découverte dans sa cave d'armes et de matériel destiné à la production d'explosifs lui vaut d'ailleurs un an de prison avec sursis en 1971. L'organisation vit alors des crises successives. En 1975, Stirbois renomme son noyau de fidèles l'Union solidariste et fonde une imprimerie. Dix ans plus tard, elle tournera à 90 % pour le FN.

Un drame va précipiter le rapprochement de Stirbois avec Le Pen. Lors de la venue à Paris, en 1977, du chef de l'Etat soviétique Leonid Brejnev, le militant solidariste Alain Escoffier s'immole par le feu. L'ensemble de l'extrême droite est en deuil. Le 23 février 1977, à la messe funèbre, tous les groupes d'extrême droite font corps. Sur le parvis de l'église, Jean-Marie Le Pen et Jean-Pierre Stirbois discutent. Ils se reverront et l'Union solidariste adhérera en bloc au FN.

FORMULES CHOCS
Dix ans après, Stirbois se souvient clairement de ses débuts auprès de Jean-Marie Le Pen : "Je m'imaginais que le Front national était une organisation puissante, mais découvris vite que s'il y avait un chef, des idées et quelques bonnes volontés, il manquait de structures et de militants encadrés…" Le couple Stirbois décide de s'implanter à Dreux en 1978 et commence à quadriller les quartiers populaires. Un élu local aura ce mot : "C'est curieux que Stirbois soit au Front national, il a l'air normal". Le solidariste se lance dans une OPA sur le Front. La tension monte avec la tendance nationaliste-révolutionnaire de François Duprat qui a perdu son chef assassiné dans un attentat à la voiture piégée en 1978.

Stirbois est pro-israélien et récuse toute connotation fascisante qui, à son sens, freine le développement du FN. Ses adversaires l'accusent d'être un "agent sioniste", son vrai nom serait "Stirnbaum". Il crie à la provocation, traite ses détracteurs de "nazillons" et applique la formule de Lénine : "Le parti se renforce en s'épurant"… En deux ans, les radicaux sont liquidés. Après avoir pris la direction du comité de soutien à la candidature Le Pen pour la présidentielle de 1981, en vain car le nombre de signatures ne sera pas atteint, il récupère le secrétariat général. Travailleur acharné, il veut édifier un véritable appareil maillant la France entière et s'initie aux formules chocs, lançant en 1982 un tonitruant : "Immigrés d'au-delà de la Méditerranée, retournez à vos gourbis !".

Dans une France qui est passée du "changer la vie" de François Mitterrand à la "rigueur" de Jacques Delors, dans une ville de Dreux où un habitant sur cinq est un immigré, un sur dix chômeur, Stirbois obtient un premier succès aux cantonales de 1982 (12,6 %) qui lui permet d'aboutir à une union RPR-FN aux municipales de 1983. Son slogan est sans ambiguïté : "Inverser le flux de l'immigration à Dreux". La gauche gagne mais l'élection est annulée. On doit revoter en septembre. Le couple Stirbois se lance cette fois sous la seule bannière du Front. Tout l'été, ils vont à la rencontre des Drouais. Des Parisiens viennent les aider, mais pas Jean-Marie Le Pen : il est en vacances. En septembre, c'est le "coup de tonnerre" qui donne des ailes à Stirbois. Certains frontistes pensent qu'il est temps de changer de chef.

Reste que le succès apporte de nouvelles difficultés. Des transfuges des droites rejoignent le FN, mais leur culture politique a peu à voir avec celle des "historiques". Le ton monte. Persuadé que le vivier naturel de l'électorat frontiste se situe dans les milieux populaires, Stirbois craint l'embourgeoisement et redoute que la droite veuille détruire son parti de l'intérieur. Main de fer dans un gant d'acier, il provoque des scissions, menace les déviants, constitue des dossiers sur les cadres. En 1986, grâce à une modification de la loi électorale, le FN entre à l'Assemblée avec 35 députés, élus sur des listes de "rassemblement national" alliant FN et divers droite.

Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg
A suivre

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