mardi 27 mars 2012

Un président doit-il être cultivé ?

Le Monde 25/3/2012

Extraits

Un jour qu'on lui demandait l'intérêt d'avoir fait venir, un an avant l'élection présidentielle de 2007, Henri Guaino pour écrire ses discours, Nicolas Sarkozy eut cette phrase : "Je suis un immigré sans diplôme. J'ai besoin qu'Henri m'apporte la France de Péguy et de Michelet." Jusque-là, Nicolas Sarkozy avait cru pouvoir en faire l'économie. "Un homme politique qui ne regarde pas la télé ne peut pas connaître les Français", professait-il. Incarner la "rupture", c'était aussi rompre avec "le catéchisme culturel" partagé, à ses yeux, par les seules élites. Il pressentait pourtant qu'il lui faudrait d'autres références.
Pour sa campagne électorale victorieuse, Henri Guaino lui offrit donc les mots. Ceux de Jaurès et de Camus. [...]
Est-il pourtant si nécessaire d'être cultivé pour diriger un pays ? Les Américains n'ont jamais autant que nous réclamé à leurs dirigeants d'être érudits, même si la plupart d'entre eux l'étaient. Et de quelle culture parle-t-on ? En France, la connaissance de l'histoire et de la géographie, les références littéraires sont restées des marqueurs plus puissants qu'ailleurs. Il est rare que l'on interroge un président sur sa maîtrise des langues étrangères, son savoir scientifique, son expérience au-delà des frontières, alors que la mondialisation, les défis écologiques, la crise économique mondiale devraient l'exiger.
Mais la littérature ! L'histoire ! "Ne pas en être imprégné, pour un président, c'est un peu comme l'équipe de France ne chantant pas La Marseillaise, remarque l'écrivain Erik Orsenna, que François Mitterrand avait choisi pour écrire ses discours à l'Elysée. Et sans doute Nicolas Sarkozy aurait-il moins choqué s'il avait affirmé qu'il n'est pas nécessaire, dans un concours administratif, de savoir que la Terre tourne autour du Soleil qu'en soutenant comme il l'a fait qu'il n'est pas déterminant d'avoir lu La Princesse de Clèves..."

"UNE VOCATION UNIVERSALISTE À PARLER DE CULTURE AUX AUTRES CIVILISATIONS"
[...] Les présidents de la Ve République sont longtemps très largement restés de culture classique. De Gaulle s'affirmait comme un passionné d'histoire autant que comme l'un de ses héros. Mais ses Mémoires sont aussi ceux d'un écrivain et il en désigna un autre, André Malraux, pour être son ministre de la culture. Georges Pompidou était un normalien, amoureux d'art contemporain et de poésie. Elle fut même parfois pour lui un outil politique. Lorsque, le 22 septembre 1969, on l'interrogea dans une conférence de presse sur un fait divers qui avait divisé la France, le suicide de Gabrielle Russier, professeure de 32 ans condamnée pour avoir eu une histoire d'amour avec un élève, il évita le piège des polémiques en se réfugiant derrière ces vers de Paul Eluard : "Comprenne qui voudra. Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d'enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés..."
[...]
Nous voilà en 2012. La crise économique paraît avoir écrasé tous les autres débats. Sur la dizaine de candidats à l'élection présidentielle, seuls deux font de leur culture générale personnelle un argument de campagne, et ce sont les deux professeurs de lettres du groupe, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. [...]
Jean-Marie Le Pen, homme cultivé, usait de la langue comme d'une arme et de la musique de Verdi pour accompagner ses entrées sur les tribunes. Sa fille, Marine Le Pen, paraît pour sa part avoir pour principal souci d'éviter toute référence à l'histoire, sans doute parce que, dans sa volonté de "normaliser" le Front national, elle a voulu rompre avec les références dans lesquelles son père avait ancré le parti à la tête duquel elle lui a succédé : le nationalisme des années 1930, les guerres d'Indochine et d'Algérie.

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"SARKOZY N'EST PAS SEULEMENT UN ENFANT DE LA TÉLÉ"
Nicolas Sarkozy a omis pour sa part ces références à une famille de pensée. "En 2007, il avait affirmé son appartenance à la droite républicaine, et j'avais trouvé cela intéressant, remarque l'historien Michel Winock, parce qu'avant lui, les présidents de droite s'étaient bien plus réclamés du rassemblement gaulliste ou, comme Valéry Giscard d'Estaing, d'une tradition plus tocquevillienne. Mais Nicolas Sarkozy ne l'a pas explicité. La droite républicaine, dans l'histoire, c'est Poincaré, et lui ne citait que Jaurès et Blum, jamais ce dernier..."
Plus récemment, on l'a dit, le président s'est mis à évoquer en public ses lectures et à convier à l'Elysée artistes et intellectuels. Comme s'il renonçait à n'avoir pour bagage que "la culture des gens", celle qui, paraissait-il croire, lui garantissait une proximité avec le peuple.
[...]

Mais, au-delà, qu'est-ce que la culture d'un dirigeant apporte au maniement des hommes, à la direction d'un pays ou même d'une entreprise ? Tout. La littérature est un instrument inégalé de compréhension psychologique. Qu'est-ce qui ressemble plus aux courtisans de Louis XIV, brossés par Saint-Simon, s'exclamant "Sire, Marly !", éperdus de bonheur à l'idée d'être invités par le roi dans sa résidence campagnarde, que ces conseillers, ces ministres de François Mitterrand qui s'émerveillaient d'être conviés dans sa bergerie à Latche !
Comment comprendre l'Europe sans connaître ses guerres de religions, de territoires, ses rivalités économiques, sa démographie, ses mouvements de frontières et sa géographie ? Peut-on apprécier ce symbole si fort et si simple de Helmut Kohl et François Mitterrand se tenant par la main sans avoir profondément intégré les soubresauts de l'histoire franco-allemande ? Jacques Chirac se serait-il battu contre l'intervention de la France en Irak s'il n'avait eu, comme le souligne celui qui fut son ministre de l'enseignement scolaire puis de la coopération, Xavier Darcos, "ce point de vue très polynucléaire sur la politique étrangère, ce tropisme Nord-Sud qui reposait en grande partie sur sa connaissance des arts premiers" ?

ÉCHAPPER À LA PRESSION DE L'ÉVÉNEMENT
L'inculture historique empêche la contextualisation et la compréhension de la complexité. Mais la connaissance de l'histoire peut parfois, à l'inverse, être un carcan, comme elle le fut pour Mitterrand, héritier de la guerre froide, qui crut, lors de la tentative de renversement de Gorbatchev par les communistes, que l'effondrement du régime soviétique ne pourrait pas avoir lieu. Elle reste cependant le grand moyen de ne pas succomber à l'excitation de l'instant. Et parfois une source de modération et de relativisation à manier avec doigté.
[...]
Mais quoi de plus essentiel, pour un dirigeant, que d'échapper à la pression de l'événement ? C'est bien cela l'usage le plus abouti de la culture. "La culture était pour Mitterrand une manière d'avoir du temps, analyse Erik Orsenna. Les livres le protégeaient contre la montre..." Quelle meilleure manière de ménager sa réflexion, ce temps pour soi qui permet de penser une décision, que de se plonger dans la lecture de Marc Aurèle ou de Tite-Live, de penser les changements au regard de l'histoire, de comprendre les peuples à travers leurs territoires ?
[...]
Nos sociétés postmodernes paraissent avoir succombé au "présentisme", cette croyance qui ignore le passé et le futur. La politique, les batailles électorales sont devenues une succession d'instantanés incompatible avec une culture qui se nourrit au contraire de la durée. Avant tout, il faut réagir vite. Et c'est finalement là l'enjeu, au-delà même des politiques culturelles mises en place : réduire ce divorce entre le court et le long terme qui, aujourd'hui, a pris un tour si vif et empêche ceux qui dirigent l'Etat d'avoir une vision profonde et plus lointaine de la direction dans laquelle doit s'orienter le pays.



2 commentaires:

  1. « Rose Mafia » de GD : la justice va-t-elle faire son travail, investiguer, et s’il y a des faits répréhensibles, condamner les coupables ? Il y a vraiment de quoi en douter ! Déjà pris les doigts dans la confiture, en 1996, JPK a pu continuer de sévir dans ses mauvaises habitudes pendant plus de quinze années, sans qu’il ne soit le moins du monde inquiété ! C’est dire s’il est intouchable ! Cela prouve aussi que la justice est double : selon que vous êtes puissant ou misérable…Justice de riches, justice de pauvres. Face à des faits répréhensibles, Jacques Chirac, d’abord, n’a pas été inquiété, puis face au scandale, il a eu quand même une peine, mais une peine dérisoire : deux années de prison … avec sursis ! Ceci avec la complicité du maire socialiste de Paris ! On dit que la justice manque de moyens. On dit d’ailleurs que si Hollande est élu, JPK ne sera même pas jugé !
    Dans son livre, « Rose Mafia », GD se targue d’avoir été initié dans la franc-maçonnerie (pages 45 et suivantes). C’est donc que les membres d’une loge maçonnique ont reconnu en lui un homme probe, « libre et de bonnes mœurs ». Mais par ses multiples mensonges, il démontre qu’il a trahi les idéaux pour lesquels il a prêté serment. Dns un tel cas de figure, il est prévu que le faux frère aura « la gorge tranchée et la tête coupés » (symboliquement, bien sûr). Peut-on alors s’attendre à une mise en œuvre de la justice de ce côté-là ? Pas d’illusion : nombre de maçons connaissent parfaitement ce qui se passe entre élus et entreprises, ceci au plus haut niveau, et se gardent bien d’intervenir. D’ailleurs GD avoue lui-même « naïvement », qu’il a été recruté dans la franc-maçonnerie pour continuer d’alimenter la pompe à fric !
    Cependant, les victimes, elles, ne manquent pas : d’abord les veuves et les orphelins de la mine, les locataires des maisons de la mine, et puis le personnel des divers organismes, SEM et autres, et les personnel des diverses municipalités. Et pour eux, quelle justice ? Comme le dit le frère Mélenchon : « Prenez le pouvoir ! », c’est-à-dire, mettez en œuvre la justice populaire, celle mise en œuvre par les victimes, en particulier en 1972 à Bruay-en Artois. Comme indiqué dans le film présenté à la télévision samedi soir, concernant l’affaire de Bruay-en Artois, « l’Etat (c’est-à-dire les « notables ») étouffe les affaires quand cela l’arrange ». Sans justice populaire, il n’y aura aucune justice, et tant pis pour les victimes !

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  2. v' là ti pas que Bayrou cherche " un nouvel élan " , viens à Hénin François , viens à Hénin , tu sera sur de devoir rembourser ta campagne
    électorale.
    MDR

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