samedi 3 novembre 2012

Une voix différente...

AA: Baisser les coûts salariaux pour reporter la charge ainsi libérée sur d'autres impôts (c'est ce que signifie "choc de compétitivité"), n'aurait aucune influence sur la croissance et donc l'emploi, nous dit l'économiste réputé, ci-dessous. L'argumentation est solide...Alors que faire?


© Le Monde 30/10/2012
 
La fausse promesse du "choc de compétitivité"


"Choc de compétitivité", l'expression est bien inventée et bien dans l'air du temps : loin de l'idée ancienne que l'Etat doit protéger les populations contre les chocs externes, c'est lui qui doit en administrer, et ces chocs sont, désormais, considérés comme positifs, tels les électrochocs appliqués aux dépressifs graves. Quant à la compétitivité, terme transféré du vocabulaire des entreprises à la macroéconomie où elle n'a pas de sens, elle apparaît comme la face présentable de la compétition, qui ne vise pas à améliorer la vie de la population mais à réduire les coûts salariaux. Comme le choc de compétitivité est censé produire des emplois et de la croissance, il est nécessaire d'examiner la plausibilité de cette promesse au regard des connaissances économiques actuelles.


Le dernier exemple de choc de compétitivité massif en France est la déflation menée par Pierre Laval en 1935, qui a baissé toutes les dépenses de l'Etat, en particulier les salaires des fonctionnaires, pour provoquer une baisse générale des salaires et des prix et relancer l'économie par l'exportation. A l'époque, le taux de change du franc était fixe, et comme tous les autres pays avaient dévalué leur monnaie afin de relancer leurs exportations, le taux de change réel du franc était surévalué d'environ 20 %, assez pour conduire à l'effondrement des exportations. Décidée pour éviter une dévaluation du franc, la déflation Laval a aggravé la crise en France alors que l'Europe connaissait une reprise générale... Et la dévaluation du franc eut tout de même lieu à la fin de l'année suivante. Malgré la substantielle reprise qui s'ensuivit, la France fut le seul pays dont le revenu par habitant de 1939 ne dépassa pas celui de 1930.


Examinons les avantages et les inconvénients d'un choc qui se traduirait par la réduction des charges sociales, et donc du coût du travail payé par les entreprises, et par la baisse de niveau de vie des salariés, grevé par l'impôt nécessaire au financement de cette réduction. Du côté des avantages, la réduction des coûts permettrait aux entreprises de réduire leurs prix ou d'accroître leurs marges. Si elles choisissent d'augmenter leurs marges, l'effet sur l'activité sera négatif. Dans le contexte de menace de récession, rien ne garantit que l'investissement en sera accru. Et même si elles réduisent les prix, la baisse de la demande en France, conséquence de la baisse du pouvoir d'achat, devrait faire stagner les ventes en France.
En Europe, nombre de pays s'engagent dans des politiques similaires, de telle sorte que leurs efforts s'annuleront mutuellement, la guerre des coûts salariaux ne bénéficiant à personne en l'absence de hausse des ventes. C'est, d'ailleurs, là, la grande différence avec les gains de compétitivité obtenus par une entreprise face à ses concurrentes, car ces gains n'affectent pas la demande globale. Seule l'exportation hors d'Europe devrait bénéficier de la mesure, et relancer l'activité. Cette relance sera modeste, car les exportations hors de la zone euro ne représentent qu'une minorité de nos exportations, celles qui ne sont pas les plus sensibles aux prix. En outre, la baisse des prix en devises de nos exportations pourrait être obtenue aussi facilement par une baisse de l'euro. Certes, le taux de change de l'euro flotte et ne peut être dicté, mais la Banque centrale européenne parviendrait à le faire baisser si elle le souhaitait.

On peut objecter que les deux mesures ne sont pas identiques : la baisse des charges bénéficie aux entreprises de main-d'oeuvre, ce qui fait espérer des créations d'emplois. Mais - et c'est là que le bât blesse - la grande industrie exportatrice, censée être la bénéficiaire principale de ces mesures, a une structure de coûts dans laquelle la main-d'oeuvre pèse relativement peu par rapport aux investissements; elle emploie une main-d'oeuvre qualifiée, pour laquelle le chômage est d'ores et déjà faible et ses usines les plus gourmandes en main-d'oeuvre sont délocalisées depuis longtemps...
Si l'objectif du choc de compétitivité est de faire baisser les salaires pour réconcilier le gouvernement avec le patronat ou pour réduire le chômage par simple remplacement des machines par des salariés peu qualifiés, il faut le dire. C'est une méthode qui peut aider à réduire le chômage à défaut d'améliorer la vie des chômeurs, comme la face cachée du " succès " allemand en témoigne.

A l'inverse, on peut élever le niveau de qualification des chômeurs et des salariés à bas salaires pour les rendre plus employables, plus adaptables, plus productifs, et investir dans la recherche et l'innovation pour accroître nos exportations malgré des salaires accrus. On peut aussi, en coordonnant les politiques européennes, rééquilibrer les échanges intra-européens par le haut en relançant la demande allemande par des hausses de salaires tout en maintenant la demande dans l'Europe du Sud au lieu de la lancer dans la course à la déflation salariale. Alors, les investissements réalisés porteront leurs fruits et la croissance européenne repartira. Sans choc de compétitivité.


Pierre-Cyrille Hautcoeur
Ecole d'économie de Paris, EHESS



AA: y a-t-il une politique économique susceptible de diminuer l'endettement de la France et de maintenir, voire augmenter, la consommation et donc induire une croissance créatrice d'emplois? Quelques éléments:
- L'Europe doit-elle maintenir l'exigence de déficits limités à 3% pour 2013? Pour un pays comme la France qui a décidé, contrairement aux autres pays, de ne pas sabrer dans les dépenses publiques (leur diminution est relativement peu importante), tout en taxant fortement les Français (avec une certaine progressivité), on ne sait pas quel sera le résultat. S'il n'est pas bon, politiquement, Hollande devra prendre des mesures, telle que celle de sacrifier son 1er ministre. Mais la meilleure solution ne serait-elle pas de reporter l'objectif des 3% à 2014? Décision collective à prendre à Bruxelles...
- L'Europe ne devrait-elle pas cesser cette concurrence malsaine entre ses membres? L'Espagne a maintenant des coûts salariaux inférieurs à ceux de l'Allemagne et la France...De même la concurrence fiscale est un leurre...
- Faute d'investir suffisamment dans la recherche, l'innovation et l'enseignement, l'écart se creuse avec les pays scandinaves et l'Allemagne. C'est le rôle fondamental de l'Etat de procéder à une mobilisation générale sur ces objectifs.
- Quelle est la philosophie politique de l'Europe? L'Europe doit-elle continuer sur la voie de l'ultra- libéralisme économique? Quel rôle pour la puissance publique nationale? Pour l'Europe? Cela mériterait d'être mis à plat...
- 2 chantiers sont insuffisamment poursuivis: celui des grands travaux (comme le canal Seine-Nord) et celui de la croissance verte.

1 commentaire:

  1. Je n'ai pas validé un certain nombre de commentaires et continuerai à procéder ainsi les jours prochains. "Tout ce qui est excessif est insignifiant".

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